Jean-Paul Sorg, traducteur et spécialiste de l’œuvre d'Albert Schweitzer est mort le 10 octobre 2025 à l'âge de 83 ans. Le pasteur Roland Kauffmann lui rend hommage.
Tout lecteur d’Albert Schweitzer a rencontré un jour l’œuvre de Jean-Paul Sorg. Que ce soit par ses propres traductions, commentaires ou préfaces ou encore par l’édition de parties essentielles de la bibliographie schweitzerienne. C’est par la publication d’Humanisme et mystique (Albin Michel, 1995), un choix de textes commentés d’Albert Schweitzer, que Jean-Paul Sorg a donné accès à un large public francophone à la pensée du Prix Nobel de la paix 1952. Entre 2005 et 2011, l’édition de la correspondance entre Albert Schweitzer et sa future épouse Hélène Bresslau (trois tomes parus aux éditions Do Bentzinger, Colmar) a ouvert de toutes nouvelles perspectives sur les motivations théologiques et humanitaires du départ à Lambaréné en 1913 puis à la conception d’une véritable philosophie de la civilisation au courant des années 1920.
Troisième contribution essentielle de Jean-Paul Sorg à la connaissance de l’œuvre schweitzerienne : la traduction et l’édition d’un grand nombre de sermons. Mais c’est aussi en tant que rédacteur des Cahiers Albert Schweitzer et initiateur des Études schweitzeriennes que Jean-Paul Sorg a montré l’étendue et la richesse de la notion de Respect de la vie comme transposition philosophique et universelle du commandement d’amour de Dieu et du prochain qui caractérise la pensée du théologien alsacien.
Premières découvertes d’Albert Schweitzer
Jean-Paul Gross est né à Mulhouse en 1941 et rencontre Albert Schweitzer en 1951 lors d’un culte-conférence en plein air où il l’entend « parler sous la pluie de la dignité de l’homme des colonies. » Une préoccupation de la dignité qui marquera l’enfant de 10 ans qu’il était alors et le conduira à creuser inlassablement ces questions sous un angle à la fois politique et philosophique. Lauréat du concours général de philosophie, il sera fortement influencé par Fernand Turlot et surtout Georges Gusdorf et Henri Lefebvre ou encore André Canivez qui lui a fait découvrir l’originalité philosophique de la pensée de Schweitzer.
Jean-Paul Gross a choisi de faire son service militaire dans la coopération comme enseignant et c’est à Saint-Louis du Sénégal qu’il prend le nom de plume de « Jean-Paul Sorg » afin de pouvoir écrire des chroniques sur le cinéma à l’insu de ses élèves. Un nom d’usage qu’il conservera à son retour en France où c’est sous le patronyme de « Sorg » que les lycéens de Guebwiller (68), Fribourg-en-Brisgau (Allemagne), élèves de l’École normale de Guebwiller et étudiants de l’Université de Haute-Alsace à Mulhouse (68) connaîtront leur professeur. Mais aussi les nombreux lecteurs de ses ouvrages consacrés soit à l’œuvre et la pensée de Albert Schweitzer soit aux poètes et essayistes alsaciens, Nathan Katz, Émile Storck ou encore Jean-Paul de Dadelsen.
Fondateur, rédacteur en chef et président
Jean-Paul Sorg a fondé la revue Études schweitzeriennes en 1990 et sous sa direction, la revue publie 12 numéros, qui contiennent des traductions d’inédits, les actes des colloques et des recensions. Rédacteur en chef des Cahiers Albert Schweitzer de 2003 à 2016, il assure également, de 2008 à 2011, la présidence de l’Association française des Amis d’Albert Schweitzer (AFAAS). En 2015, à l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Schweitzer et du centenaire de l’énoncé du principe du respect de la vie, il assure le commissariat et la codirection du catalogue de l’importante exposition consacrée à Schweitzer, Entre les lignes, à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont le plus récent, la traduction nouvelle de Propos sur le Nouveau testament paru en 2025 à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de Schweitzer, Jean-Paul Sorg a également consacré de nombreux articles au « citoyen du monde et homme de Gunsbach » comme aimait à se qualifier Albert Schweitzer.
Son territoire de prédilection
Une double culture, à la fois ouverte à l’universel et enracinée, au sens de la philosophe Simone Weil, dans un territoire fait à la fois d’une histoire particulière et d’une géographie culturelle qu’administrative. En effet, c’est à la mesure de l’espace du Rhin supérieur, dans cette région entre Vosges françaises et Forêt-Noire allemande, de Karlsruhe à Bâle voire Berne, qu’était le territoire de prédilection de Jean-Paul Sorg. Un « pays » qui ne se limite pas à son sol et déborde des frontières parce qu’il se trouve avant tout dans un franchissement des cultures et des langues. C’est en effet dans le langage que se situait la patrie de Jean-Paul Sorg, entre l’allemand et le français, entre l’alsacien et l’alémanique, entre la poésie et la philosophie.
Homme de mots, de lettres et de langues, Jean-Paul Sorg était aussi engagé dans ses convictions. Passé d’une philosophie marxiste à l’origine à une philosophie de l’écologie politique, c’est dans le combat contre la centrale nucléaire de Fessenheim et plus largement pour la sauvegarde de la plaine du Rhin qu’il s’engage. Il était ainsi passé « d’une eschatologie marxiste-communiste à une eschatologie de l’écologie [avant de rencontrer] l’eschatologie conséquente d’Albert Schweitzer ». C’est dans cet esprit qu’il publie un montage de textes poétiques et polémiques, Le Rhin est mort, avec Jean-Paul Klée (éditions bf, Strasbourg, 1976) et en 1984, chez le même éditeur, un essai, Jardingue ou Le droit au jardin, en réponse au Droit à la ville, d’Henri Lefebvre, 1967.
Lauréat de plusieurs prix
Jean-Paul Sorg a été lauréat en 2000 du Prix « Ville de Schongau » attribué par l’Académie d’Alsace pour ses travaux sur Goethe et Schweitzer. C’est aussi en 2000 qu’il a fondé le Cercle Émile Storck, un des grands poètes et dramaturges alsaciens dialectaux. Honoré du Prix Nathan Katz en 2014 pour son anthologie de poèmes d’Émile Storck, Par les fossés et les haies, il avait également reçu en 2022 le prix Charles Goldstein décerné par l’association Heimetsproch un Tràdition. Une défense de la culture et de la langue alsaciennes qui aura mobilisé toute son énergie jusqu’à son dernier souffle.
À l’adage de la philosophie grecque « deviens ce que tu es », Jean-Paul Sorg répondait « Le christianisme (…) a ajouté l’idée que ce n’est pas dans le souci de soi que l’homme s’accomplit mais dans le souci ou le soin de l’âme, dans le service, le dévouement et la grâce. Deviens toi-même dans un mouvement de vie pour autrui et pour le monde. »
Roland Kauffmann, pasteur
PS L’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine rend hommage à l’un de ses plus célèbres pasteurs à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, le 14 janvier 1875, en proposant en 2025, une série de manifestations labellisées « Année Schweitzer ».
