Archives quotidiennes : Jeudi 08 Mai 2025

L’évêque du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, réagit à la mort du souverain pontife en ce lundi de Pâques.

C’est en route pour Rome, dans le train l’emmenant de Fribourg à l’aéroport de Genève, que Mgr Morerod, évêque du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, a appris, ce lundi matin, le décès du pape François. Joint par téléphone juste avant l’embarquement, il nous fait part de sa surprise et insiste sur le fait que ce déplacement n’était en rien lié à l’état de santé du souverain pontife. Il y rejoint un groupe de 250 jeunes confirmés des cantons de Fribourg et Neuchâtel, en pèlerinage toute la semaine dans la cité vaticane. Interview expresse.

Le pape François est décédé un lundi de Pâques. Quel commentaire vous inspire ce timing ?
C’est très symbolique. De plus, il avait décrété que 2025 serait, au sein de l’Eglise catholique, une année consacrée à l’espérance. Alors, mourir le lundi de Pâques, dans une année de l’espérance ! On ne saurait mieux incarner notre espérance chrétienne en la vie éternelle, soit la vie par-delà la mort.

Vous avez eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises, quel souvenir personnel vous a-t-il laissé ?
La première fois que je l’ai vu, c’était dans les couloirs de la résidence Sainte-Marthe, où sont logés les visiteurs du Saint-Siège. Or, contrairement à ses prédécesseurs, le pape François avait choisi également d’y habiter. Je l’ai croisé à l’impromptu, dans un large couloir près de la salle à manger du bas. Il s’est arrêté, on s’est parlé. Le contact s’est fait le plus naturellement du monde. C’était étonnamment simple.

Comment expliquer sa popularité, au-delà du seul monde catholique ?
Son souci affiché pour les plus démunis a forcément marqué les esprits. Mais également son attachement à l’œcuménisme, je crois. Lorsqu’il est venu à Genève en 2018, c’était précisément pour rencontrer le Conseil œcuménique des Eglises. Au-delà de l'œcuménisme entre chrétiens, il a également beaucoup tenu à manifester un dialogue interreligieux avec les musulmans. Il y voyait une priorité, car il était conscient que c’était important pour la paix dans le monde.

On parle d’un pape réformateur. Quelles avancées retiendrez-vous particulièrement ?
Il a beaucoup œuvré pour la décentralisation du pouvoir. Lors des Synodes des évêques, les textes votés en plénum étaient en dernier ressort soumis au pape pour approbation, et il en écrivait lui-même la conclusion. L’année passée, il a renoncé à ajouter quoi que ce soit au texte final, reconnaissant par là même la pleine légitimité synodale. Dans la même veine, il a choisi de mettre des laïcs, aussi bien des hommes que des femmes, à des postes à responsabilités.

On attendait beaucoup de ce pape dit progressiste sur les questions sociétales, notamment le célibat des prêtres et le mariage pour les couples du même sexe. Il a parfois déçu. Comment réagissait-il à ces critiques?
Attention, il n’était pas progressiste sur tout. Il ne faut justement pas en faire une caricature : cet homme était très contrasté. Quant à la question du mariage des prêtres, il s’était expliqué sans détours. Interrogé lors d’un entretien sur la question, il avait répondu qu’il ne se sentait pas de prendre cette responsabilité et qu’il laissait, de fait, cette décision à son successeur. Pas très sympa pour son successeur, je le concède !

En tant que souverain pontife, ne se retrouve-t-on pas dans une position de grand écart: peut-on plaire aux fidèles et à la Curie en même temps
Les attentes sont variées dans ces deux groupes. Mais notez que, quand des gens ne lui plaisaient pas trop dans la Curie, il les évacuait. Il n’a pas agi de manière précipitée, mais il a quand même mis en place des gens qui lui correspondaient.

Justement, à vore avis, à quel genre de profil faut-il s'attendre ?
La majorité des cardinaux électeurs, qui viennent des quatre coins du monde, ont été nommés par lui. On peut donc supposer qu’il n’a pas des pris des gens qu’il estimait radicalement différent de lui. La probabilité d’avoir un nouveau souverain pontife avec une certaine ressemblance est assez grande.

Par Protestinfo - Anne-Sylvie Sprenger - 22 avril 2025

Lucidité
Ecologie, décroissance, emprise de la technique sur nos vies : le penseur protestant français a devancé toutes les questions de notre siècle.

« Notre société est pire que celles où l’on vivait dans un univers religieux, car ces sociétés connaissaient le doute et les incertitudes, alors que le croyant en des solutions scientifiques et techniques est l’inexpiable bourreau collectif de notre monde, insensible aux remords autant qu’aux scrupules. »
Jacques Ellul, La Foi au prix du doute (1980)

Par sa biographie, Jacques Ellul est un homme du XXe siècle : il naît en 1912 et décède en 1994. Mais sa force visionnaire et la clairvoyance de son propos en font un penseur du XXIe siècle : les idées qu’il développe anticipent les grandes inquiétudes de notre temps. Et dans des domaines extrêmement diversifiés : Ellul a été à la fois professeur de droit et sociologue, théologien protestant et précurseur du mouvement écologiste, critique acharné de la technique et promoteur d’une espérance qui prend en compte toutes nos limites…

Apôtre de la décroissance
« On ne peut poursuivre un développement infini dans un monde fini. » Qui se souvient que c’est à ce protestant bordelais que revient la paternité de cette formule ? Pour Ellul, cette réalité constitue une évidence quand il voit notre mode de vie, notre système de croissance exponentielle et la finitude de notre planète : il entend donc lancer un signal d’alarme. Depuis les années 1930, il défend des positions qui pourraient être signées aujourd’hui par les écologistes : il y parle de sobriété, de révision des besoins, des dangers du productivisme… Et dans ces écrits affleure pour la première fois une autre formule qui a fait florès depuis : « Penser global, agir local. »

Mais d’où vient à Jacques Ellul cette intuition hors du commun ? Sans conteste de sa foi réformée, selon Frédéric Rognon, professeur de théologie à Strasbourg : « Le propre de la foi protestante est de relativiser toutes les œuvres humaines. Pour Ellul, ce qui est de l’ordre de la politique, de l’économie, de la technique ne doit donc pas être idolâtré. La conviction de se situer devant Dieu l’amène à un recul critique par rapport à tout ce qui enthousiasme ses contemporains. »

Dialogue théologique et sociologique
La foi chrétienne donne dès lors à Jacques Ellul la « lucidité prémonitoire » pour mettre en cause la religion de la croissance et la sacralisation de la technique. Car toute sa réflexion se situe dans une dialectique entre théologie et sociologie, dans un dialogue entre lecture de la Bible et analyse des mutations contemporaines.

Le juriste-théologien en est convaincu dès les années 1950 : notre société est déterminée par la technique. Celle-ci représente un système clos, qui étend sa puissance sur toute chose, réduisant même la politique à une illusion. Et tandis que la société découvrait les prémices d’internet, Ellul avait perçu depuis des décennies déjà que « par manque d’imagination et de volonté, l’homme s’est subordonné à l’information au lieu de la dominer ». Un constat implacable, mais combien réaliste à l’heure où l’intelligence artificielle effraie même les plus technophiles !

Pessimiste, Ellul ? Sans doute, mais « plein d’espérance », ajoutait-il. Car ce n’est que lorsque l’humain ne peut plus rien que Dieu peut enfin tenir ses promesses.

Christianisme subverti
Ellul se convertit à la foi chrétienne à 18 ans et choisit le protestantisme : « J’ai lu les théologiens catholiques, et je suis arrivé à la conclusion que les auteurs protestants étaient plus proches de ce que j’avais compris de la Bible. » Engagé dans l’Eglise réformée comme prédicateur, mais aussi durant quinze ans au sein de son Conseil national, il déplore pourtant la « subversion du christianisme », réduit à une morale et à des fêtes. Il l’assène : « Si le Saint-Esprit est, était, avait été avec les chrétiens et avec les Eglises, nous n’aurions pas assisté à cette terrible subversion qui a fait prendre pour christianisme exactement l’inverse. ».

En savoir plus sur jacques ELLUL : au Éditions Mennonites ICI

Par "Réformés" - le journal - Novembre 2024